- Maître Kanter

  Un petit matin, je m’en souviens très bien puisque je revenais de la fête de l’amnésique,oui, oui, la fête de l’amnésique, une nouvelle manifestation mise en place par le gouvernement qui a besoin que la population oublie certaines affaires compromettantes, d’autant plus que "tout ce qu’on promet tente" est un parfait pléonasme. Donc ce matin là je tombe sur un croque mort, et quand je dis : «  je tombe », c’est parce que ça m’arrange pour la suite de l’histoire. Donc je tombe sur un croque mort joyeux, puisqu’il faisait une tête d’enterrement. Je lui demande pourquoi il avait l’air aussi heureux ? Il me répond que c’est parce qu’aujourd’hui il enterre sa vie de garçon, et comme il doit me trouver sympathique, avant sa prochaine mise en bière, il m’invite à aller boire une mort subite chez Maître Kanter. Maître Kanter la taverne préférée des fossoyeurs qui eux pourtant ne font pas que mettre en terre. Ils peuvent aussi, comme tout à chacun, mettre les bouchées doubles, les p’tits plats dans les grands, la charrue avant les bœufs, la clé sous la porte, leur argent à la banque, en évitant de se mettre le doigt dans l’œil et un pied dans la tombe.
Comme j’avais un peu de temps à tuer,j’accepte son invitation. On trinque à la bonne santé, et vu la vitesse à laquelle le gars descend sa chope je comprend qu’il fait un boulot qui creuse. D’ailleurs je lui demande comment vont les affaires et là, il devient intarissable. Il me dresse la liste mortuaire de sa journée digne de la page nécrologique du Pèlerin magazine, à l’écoute de laquelle je m’efforce de rester de marbre.
Il me dit qu’on devait enterrer un petit jardinier, un certain Aimé Saudot, qui cultivait des bons ails mais qui n’avait pas fait de vieux os, puis il fallait récupérer l’urne de monsieur Alexandre Ducoureur, un grand brûlé à six jambes qui venait de s’immoler, car il faut six jambes pour s’immoler.
Ensuite ce serait le tour de Kiri le clown qui s’était fait trancher la tête à coups de sabre par un lanceur de couteaux du cirque de Mochecou. Il aurait pu se faire couper le bras ce qui aurait été triste, mais non, lui il avait perdu la tête ce qui était plus drôle, surtout pour un clown, car un mec sans bras fait de la peine alors qu'un mec sans cou fait rire. Bon d’habitude c’était un trucage, mais hélas ça ne peut pas marcher à tous les coups.
Et la matinée se terminerait par l’enterrement de Jean Transène, un artiste chanteur qui avait obtenu de belles victoires dans des salles des fêtes. Justement il était mort d’avoir pris trop de cachets, notamment des Exomils, et quand on connaît les ravages que font les Exocets on comprend le danger que représente les Exomils. Remarquez c’est normal depuis qu’il était petit en faisant ses vocalises on lui disait toujours « reprenez vocalement ».
A midi il retrouverait ses amis pour un apéro exceptionnel au caveau « le bon vivant » et partirait acheter du pain aux puces, car il adore le pain des puces surtout depuis que son boulanger, le père Lachaise s’était suicidé, car il en avait marre de faire lever le pain toutes les nuits pour que deux jours plus tard il soit rassis.
Ensuite il dînerait avec ses deux meilleurs potes, un chauffeur de corbillard américain alcoolique qui s’était fait contrôlé positif sur la côte Est des Etats-Unis et qui depuis s’est installé en France en souffrant de coliques néphrétiques. Tout le monde l’a surnommé « Monsieur le comte » car il dit souvent à ses calculs « Montez cristaux ». Et un autre copain porteur de cercueil qui n’est pas difficile à nourrir car depuis qu’il a la prostate il ne mange que du riz noir.
Puis le gros travail de l’après midi serait celui de la préparation des obsèques des victimes de l’attentat contre Denise Fabre à la gare d’Austerlitz qui a fait six morts. Comme je n’ai pas pris connaissance des informations de la veille, je suis surpris d’apprendre qu’il y a eu un attentat contre Denise Fabre. Alors il me tend un journal qui traîne sur le comptoir de chez Maître Kanter sur lequel je lis effectivement en gros titre : Suite à l’attentat contre Denise Fabre à la gare six morts. D’après l’article du journal le coup aurait été organisé par un groupe d’artistes révolutionnaires baptisé « Les dix gagas ».
Les blagues les plus nulles sont comme la magie, des fois ça marche, des fois ça n’marche pas.
Mais grâce à ce croque mort je suis devenu un bon catholique, car avant sa rencontre j’étais en bas fouillant dans les méandres des religions depuis j’eus des hauts chrétiens.